Le 4 Février 2012 a été organisé par ses amis un hommage à l’artiste Bruno Mendonça  à l’auditorium du MAMAC de Nice.

J’ai créé et interprété pour lui la performance « Déclaration d’amour en morse », et j’ai lu un texte.

 


Sophie Taam Performance déclaration d’amour en… par minotorero

 

Bruno Mendonça l’écriteur par Sophie Taam

 

Bruno,

Je m’adresse à toi car je considère que la moindre des politesses avec les morts, c’est de les considérer comme les vivants. Et entre autres, ne pas en parler comme si, en passant à trépas, ils s’étaient départis de tous leurs défauts pour ne plus garder que leurs qualités, ce qui est à mon avis le plus sûr moyen de les mettre dans le formol, ou les formoliser si je puis dire.

Je n’ai rien écrit sur toi de ton vivant, même si je sentais que tu en avais envie, sans jamais me le demander ouvertement, car tu étais un être délicat. Mais la vérité, c’est que ton œuvre m’impressionnait, elle me submergeait tant, j’avais l’impression qu’en me plongeant dedans, j’allais tomber dans ce puits, ce gouffre, cette grotte dans laquelle tu t’es toi-même immergé en 1976. J’avais l’impression de voir en face de moi un labyrinthe et toi tu dévidais un fil d’Ariane mais il était sans fin ; tant que tu étais en vie, je passerais mon temps à te courir derrière sans jamais te rattraper et je finirai perdue dans le dédale de ton œuvre. Et le plus drôle, c’était que quand j’essayais de lire ce que bon nombre de tes amis ont écrit sur ton œuvre, leur pléthore-même ne me permettait pas de trouver une clé d’entrée. J’ai parfois le sentiment que tu utilisais ces écrits de la même façon que les livres dans tes œuvres, à savoir, l’accumulation, non pas pour dégager un sens mais au contraire pour brouiller les pistes. A moins que ce soit un moyen de te tenir chaud au cœur et au corps.

Nous partageons une même passion pour le livre mais ce qui est fascinant, c’est comment tu l’as utilisé pour sa matière, dans l’espace, en faisant un élément de base pour la construction d’un univers refuge, un univers utopique ou fantastique, comme ton si poétique igloo de conte de fée nordique. UTOPIA. Joli nom pour une maison d’édition. Qui te ressemble. On peut dire que tu as été un amant du langage, de son plus petit élément, la lettre, l’alphabet, accouplant des alphabets musicaux et sémantiques, donnant ainsi naissance à des alphabets inédits et inécrits, sauf par toi, au mot, puis au texte puis au livre, puis bien sûr à la bibliothèque, et enfin à la maison d’édition UTOPIA. Construisant ainsi, brique par brique, livre par livre, un univers mental et matériel dans lequel tu pouvais exister. C’est-à-dire une utopie, dans son sens premier de lieu autre, « une île, un monde autonome, restreint, latéral, marginal, distant », selon l’expression de Anne Moeglin-Delcroix. (Parenthèse : tiens, voici quelqu’un qui n’a jamais écrit sur toi, mais qui aurait vraiment dû !)

FUSION était un autre de tes mots préférés puisque tu l’as écrit et utilisé obsessionnellement dans les années 70. C’était bien la fusion, l’unité que tu recherchais en tentant de combiner tous tes amours, au travers des performances et du reste de ton œuvre : la moto, les échecs, le judo, les livres, le danger, les voyages, le langage, les arts primitifs. Et peut-être avant tout, l’unité essentielle qui est la fusion du corps et de l’esprit.

Finalement, je pense que ton œuvre restera comme l’un de tes alphabets inventés : magnifique, mais une énigme indéchiffrable, nous forçant à accepter le mystère comme fondement de toute chose, et entre autre, de la vie.