En v(e)ille, Eleonora Strano

Article paru dans Le supplément du Patriote pour le 13ème Sept Off du 23 au 29 septembre 2011 sur le thème  Passe [ports] méditerranéens

En v(e)ille, série photographique de Eleonora Strano

 

L’exposition foisonnante « 30 ans de New York Times Magazine » aux Rencontres photographiques d’Arles 2011 nous rappelle que cette dernière décennie a été profondément marquée par nombre d’événements bouleversants. A commencer par le 11 septembre 2001.
A chacune de ces crises est associée une photographie unique et forte, devenue icône : les deux tours fumantes percutées par l’avion à New York, le visage de Neda, la jeune Iranienne tuée et désormais considérée comme une martyre, celle de DSK en menottes après son arrestation…
Le choc provoque un arrêt sur image, et ces images se fixent dans l’inconscient individuel et collectif aussi indélébilement que sur le papier, lors du processus argentique, grâce au fixateur. Mais, comme les icônes, elles ont aussi un potentiel de détonateur (à l’instar de Neda en Iran).
A ces images figées s’oppose la télévision, média par excellence de l’image animée. La série de photographies d’Eleonora Strano «  En v(e)ille » nous montre que, paradoxalement, ce sont les téléspectateurs qui sont immobiles, comme envoutés par cette représentation artificielle du monde. Solitaires et figés.
Cela nous renvoie à cette expérience menée en mars 2010 lors d’une émission truquée de téléréalité sur France 2, « Zone Xtrême ». Elle était conçue sur le même principe que l’expérience scientifique du psychologue Milgram en 1960, qui testait les limites de l’individu face à une autorité « légitimée » : les cobayes devaient obéir à des ordres de plus en plus inhumains, pensant infliger des tortures croissantes à d’autres cobayes. On analysait ainsi leur conflit interne entre sens de l’empathie, valeurs humaines et la soumission  aveugle à ce pouvoir. Il est certes révélateur qu’en 2010  l’instance légitime soit représentée par la télévision à la place du corps scientifique cinquante ans auparavant. Cela en dit long sur le type de pouvoir unilatéral que constitue ce média.
Tout le contraire des réseaux sociaux qui, eux, sont basés sur l’interactivité, l’absence de hiérarchie, le partage de l’information, et, en quelque sorte, le principe hautement démocratique de réciprocité. Cette expérience inédite de relations sociales a peut-être fait germer chez les jeunes des pays arabes un désir de démocratie, agissant comme un modèle réduit de société libre et égalitaire en droits. Puis les réseaux sociaux ont propagé par des images (fixes des photographies, et animées par le biais des vidéos amateures prises par téléphone portable, souvent par les acteurs eux-mêmes des événements) l’idée d’un possible : possibilité d’une autre forme politique, contagion révolutionnaire d’un pays à l’autre.
Grâce à ces nouvelles formes de transmission d’information, cet élan était accompagné d’un mélange de lucidité sur le prix à payer (les morts) et de détermination inébranlable quant à l’issue des révoltes.